Depuis que je suis toute petite, je suis souvent complimentée pour mes « facilités ». J’entends des trucs comme « C’est facile pour toi », ou « De toutes façons quoi que tu fasses tu vas toujours t’en sortir », « T’as même pas besoin de bosser ça passe tout seul ».
Il y avait une forme de je m’en foutisme un peu classe à faire ses devoirs en dernier dans la cour juste avant d’aller en cours. Le piédestal bancal réservé aux enfants avec des facilités : « mon enfant est tellement intelligente qu’elle y arrive sans rien foutre ». Je ne sais pas si c’est ce que les gens pensaient, mais c’est ce que je retiens. C’était ma version gangsta à moi d’être première de la classe mais de pas en ramer une.
Et petit à petit, insidieusement, j’ai adopté cette vision de moi. Ça avait l’air plutôt cool d’être la meuf de la facilité. Celle qui apprenait sans effort. J’aimais bien cette image, elle était valorisante.
Bien sûr, il arrive un moment où cette forme d’arrogance se prend les pieds dans le tapis : pour moi c’est arrivé après le bac quand j’ai planté mon concours et été confrontée pour la première fois à l’échec. Je me suis rendue compte qu’il allait falloir *gulp* bosser pour y arriver. Mais ça allait tellement à l’encontre de cette image, la meuf pour qui c’est « facile », que j’étais perdue. Je me demandais si ça voulait dire que finalement, j’étais pas si intelligente que ça. J’avais tellement l’habitude de m’appuyer sur ça, que bosser c’était presque péché. Si tu dois bosser, c’est que t’es pas capable. Je n’étais pas prête à affronter la difficulté. Pas prête à continuer même quand on n’est pas sûre que ça va passer.
Dans le boulot, (mal)heureusement, j’ai pu retrouver le confort de mes jeunes années : tu bosses, mais tu t’arraches pas non plus la moelle, et ça passe. Ça passe même extrêmement bien dans certains contextes, parce que le niveau d’exigence est très faible. Tu viens, tu fais ton taf correctement, et tu rentres chez toi. Tu n’y amènes pas qui tu es, tu n’innoves pas, ton génie reste à la maison.
Tu te conformes à des attentes hyper faibles, tu deviens une personne lambda qui fait son job ni bien ni mal. Puis un matin tu te demandes pourquoi tu n’as plus de passion ou d’énergie.
Le paradoxe, c’est qu’on adore lire les histoires de gens exceptionnels, voir des docus sur les vies incroyables des grand.es sportif.ves, des femmes et hommes qui changent le monde ou qui ont des destins et des aventures qui nous font rêver, mais pour parler crûment, ça nous fait chier de voir le travail derrière le talent. On préfère se dire « ah mais elle était destinée à ça », « C’était facile pour elle ».
Je ne dis pas que n’importe qui pourrait faire n’importe quoi en s’y mettant juste avec acharnement, je n’ai pas la réponse à ce grand débat acquis / inné. Ce que je sais c’est que tes talents méritent d’être bossés. Tes évidences, tes facilités, tes envies qui partent du ventre et qui t’obsèdent, elles attendent que tu viennes leur rendre visite. Fréquemment. Que tu les nourrisses, que tu les bosses.
Pendant longtemps, j’ai cru que ma plus grande force, c’était mes facilités. Le fait de capter vite, de pouvoir m’adapter à toutes les situations. Et puis récemment, je me suis rendue compte que mes facilités sont aussi la raison pour laquelle j’ai arrêté à chaque fois que les choses devenaient difficiles. Que m’accrocher à cette idée de la facilité absolue, sans boulot, m’empêche d’aller faire ce que je veux.
Je me suis demandée ce qui se passe quand je décide de persévérer même quand c’est plus difficile. Quand j’accepte de donner de la place à mes talents et d’avoir de l’ambition.
Et je me demande ce qui se passe pour toi, comment tu fais face à la difficulté ? Est-ce que tu es du genre à persévérer, ou à lâcher l’affaire avec un petit arrière-goût de rancoeur ou de gâchis dans le bec ?
Laure, il va falloir que tu sortes de ma tête ?.
Merci pour cet article qui me cueille en pleine réflexion estivale sur mon avenir…
Oulala comme ton article me parle ! 1ere de la classe sans forcer (bon je faisais mes devoirs à la maison, difficile autrement avec une maman prof?). Moi, la rupture a eu lieu au lycée, redoublement de la 1ere. Après, je me suis sentie complètement illégitime avec cette image de fille douée, et j’ai ramé… Pour finir mes études (étudiante moyenne), pour trouver du boulot (qui voudrait bien d’une salariée moyenne comme moi), pour trouver mon partenaire de vie (fille moyenne, je te dis)… Même si j’ai beaucoup progressé, aujourd’hui encore, j’en suis à « qui pourrait bien être intéressé par ce que j’ai à proposer »… Et pourtant je me dis que si j’avais vécu au moyen âge, j’aurais été brûlée pour sorcellerie, tellement je me sens pleine de mes « dons » ! Merci pour ton partage d’expérience qui me fait sentir « normale » tout simplement
Oh comme cet article me va droit dans le cerveau ! (Comme beaucoup d’autres d’ailleurs !)
Et oui, la difficulté devant l’échec quand tu te rends compte que la vie n’est pas une gaufrette ! Inachevée tous mes projets c’est un peu ma spécialité ! On me dit souvent « tu as eu combien de vies pour faire tout ça ? » une seule, sauf que, c’est un foutoir là-dedans digne d’un accumulateur compulsif !
Aujourd’hui 25 ans et déjà blasée de nombreux « échecs » que l’on appellera expériences pour faire chic …
Petite je disais que je ne voudrais jamais être enfermée dans un bureau, ou suis-je aujourd’hui à ton avis ?
Et sur ma chaise, les minutes sont des heures et les heures intenables ! 17h00 pile, libération !
Je ne trouve pas ma voie, ma motivation le matin, ou bien je me voile la face car ce projet est trop fou et ambitieux pour me dire qu’il est réalisable ?
Commentaire dérivée et synthétique d’une vie bien complexe, mais je suis rassuré. Avec ce que je lis dans tes articles, je me sens moins seule. Toujours autant pommée mais comme d’habitude, en projet…
Salut Laure !
J’ai entendu tout le temps, de tous mes proches, pendant longtemps, cette phrase : « Je ne m’inquiète pas pour toi ». Et c’est vrai que comme toi, jusqu’à un certain moment où (comme toi) je me suis bien ramassée, je ne foutais rien ou tout au dernier moment, puisque j’en avais les facilités.
Mais voilà : les événements de la vie nous rattrapent et à un moment, quand ça commence à coincer, on abandonne… trop vite.
Puis, on réfléchit et on revoit sa façon de voir les choses, d’agir… Ça a été bénéfique pour toi ; ça l’a aussi été pour moi. J’espère que ton témoignage permettra à beaucoup de réaliser que quand ça « a l’air facile », bah parfois, ça nous dessert plus que ça nous motive. Et, réalisant cela, changer leur point de vue et agir !
Merci du partage 🙂 Ça fait du bien.