« Elle est bonne? Et il est comment le sol? Il y a beaucoup de cailloux ou ça va? »
Devant, moi, dandinante dans un maillot deux pièces désassorti se tient une femme, la cinquantaine bien assise, debout, hésitant à mettre le bout de la cheville dans l’eau avant que son mari n’ai vérifié pour elle la température, les cailloux, la présence de vase, et pourquoi pas le pH et l’absence de monstres suceurs de sang.
Alors que je m’apprête à me dandiner également pour ne pas être la première à entrer dans l’eau froide, je me demande : quand ai-je arrêté d’aller dans l’eau pour voir par moi-même ? Quand a-t-elle commencé à s’appuyer sur quelqu’un d’autre pour des choses aussi triviales que choisir de se baigner ou non.
Et vous ? Quand avez-vous laché le volant de la voiture, parce que c’était plus facile ? Peut-être que vous restez systématiquement en bas des manèges, des pistes de ski, au bord de l’eau. C’est à vous qu’on confie les affaires, puisque vous n’aimez pas quand ça va trop vite/ que ça glisse / que c’est froid / que c’est dans les airs (rayez la mention inutile).
On n’est pas obligées de faire tout ce qui nous terrorise pour vivre et être bien, je suis la première à le défendre. Mais il ne faut pas tomber de l’autre côté de la médaille :
[Tweet « Si on commence à rester sur le bas-côté de notre propre vie, ça devient vite une habitude. « ]
On ne sort plus de sa zone de confort, et celle-ci se rétrécit, et nous donne de plus en plus de « bonnes » raisons de ne pas aller chercher plus loin.
Si vous vous entendez raconter des histoires comme :
« A 20 ans, j’ai changé un billet d’avion à la dernière minute, et au lieu d’aller voir un ami avec qui je venais de m’engueuler, je me suis retrouvée toute seule à Buenos Aires, avec mon bagage perdue, et aucune idée d’où aller. J’ai pleuré un bon coup dans les toilettes de l’aéroport, et puis je me suis secouée, et j’ai rencontré un gars dans le bus chez qui j’ai pu prendre une douche et un dîner avant de trouver un hôtel. Aujourd’hui je ne pourrais pas faire le quart de la moitié d’un truc pareil. »
ou encore
» Quand j’étais jeune, je rêvais de prendre mon sac à dos et d’aller explorer un pays, ou même un continent, pendant quelques semaines… voire quelques mois. Finalement le temps est passé. Je ne suis pas à plaindre, j’ai pas mal voyagé, mais dans un cadre un peu plus… cadré. Maintenant je ne m’imaginerais même plus faire ça. » (ajouter un sourire désolé et des yeux où le ‘réalisme’ a remplacé les rêves d’exploratrice).
Je suis désolée de vous l’annoncer si brutalement, mais le courage est une sorte d’investissement bâtard : ça coûte cher au début, et puis de moins en moins au fur et à mesure qu’on l’utilise. Ca s’accumule bien plus vite que les intérêts moisis de votre livret A chéri, et ça permet de faire des choses bien plus excitantes. Mais c’est plus volatile que tout le reste : si vous arrêtez de vous en servir, il est bien possible que vous ayiez l’impression de recommencer à 0 en un rien de temps. Ce qui est particulièrement désagréable et coûteux. Et n’a strictement rien à voir avec l’âge du capitaine.
Ce qui dégomme votre stock de courage :
– compter systématiquement sur les autres pour faire quelque chose
– croire que la voix de la flippe est une voix rationnelle qu’il faut toujours écouter (si vous êtes sur le point de faire un saut en parachute sans parachute, écoutez-la quand même, hein)
– faire de vos trouilles une identité (« ah non, moi j’ai peur de tout ce qui est dans l’eau » alors que vous avez seulement essayé une fois le bateau dans des circonstances météorologiques dignes d’une scène de la Bible ou « Je reste en bas je crois que j’ai le vertige » alors que vous avez eu peur une fois au sommet d’une tour quand un pote a fait semblant de vous pousser, cet abruti)
– croire que votre peur, à vous, elle est spéciale, plus forte, plus insurmontable, plus intense (breaking news : ce n’est pas le cas, c’est foutu pour l’oscar de la meilleure phobie)
Tout le monde a la trouille. Je suis moi-même semi terrorisée par un paquet de trucs qui vous feraient sans doute hurler de rire. La question c’est est-ce que vous voulez rester au bord de l’eau en attendant que quelqu’un vous dise que vous pouvez y aller? Ou est-ce que vous allez prendre votre serviette et votre courage à deux mains et vous y lancer (même si c’est hyper doucement, un orteil après l’autre, et en vous récitant des incantations vaudoues protectrices) ?
Maintenant j’adorerais savoir comment ça se passe pour vous : quel projet, quel rêve, quelle envie même ridicule avez-vous jetée aux oubliettes parce que ça vous faisait frissoner la cervelle et frémir les intestins d’avance?
Prenez votre clavier, allez dans les commentaires de cet article, et racontez votre rêve à vous. Qui sait, ce sera peut-être le premier pas pour le réaliser.
Photo : Kristie Mac
Moi, ce que je laisse consciencieusement de côté, c’est de chercher mon havre de paix, mon logement cocon!
Je repousse toujours. Par peur de ne pas trouver, je préfère rester ds min appart qui n’est plus adapté. La solution choc serait d’envoyer a mon proprio mon congé….ca me mettrait ds la seringue! Sans ultimatum, je repousse tjs mes rêves!!!