Comment te sauver toi-même (sans attendre un prince à l’haleine douteuse)
J’ai grandi entourée par beaucoup d’amour et beaucoup de violence. Ma mère oscillait entre des phases où elle nous couvrait de cadeaux, de nourriture, d’attention, et des moments où elle était en rage, hurlait, tirait les cheveux, écrivait des lettres de menaces, ou passait des jours entiers presque sans parler.
En tant que petite fille, je ne comprenais rien à tout ça, et en même temps c’était ma normalité, mon quotidien, je pensais que toutes les mères étaient comme ça, que toutes les familles étaient comme ça.
Un jour, après une crise particulièrement violente, on a emmené ma mère à l’hôpital.
Je me souviens de cette journée complètement irréelle et saccadée :
10h je me réveille chez une copine, on prend le petit déj ensemble, on se marre / 13h je suis au milieu de la route en train d’appeler au secours avec un énorme téléphone portable et un minuscule forfait / 14h, je suis à nouveau au chaud, un bol de chocolat entre les mains, à écouter du Georges Brassens chez ma tante et mon oncle en jouant aux cartes. Je suis bien, j’ai l’impression qu’enfin, les choses sont prises en main. / 19h retour à la maison pour le dîner le plus malaisant de l’histoire. Ma mère, mon père, ma sœur et moi, on joue une espèce de pièce de théâtre de famille normale qui parle beaucoup parce qu’elle a trop peur de ce qui pourrait naître du silence.
Pour grandir dans cet environnement insécurisant, j’avais une parade : je savais que c’était pas ça, ma vie. Ma vie à moi, c’était après, quand je serais libre et indépendante.
J’étais une princesse coincée dans sa tour, enfermée mais patiente, j’attendais le moment où ma vie pourrait vraiment commencer.
**Bad Romance**
Enfin arrive l’année du bac, et la libération promise, mais tout de suite les choses prennent un tour inattendu : contrairement à ce que j’avais fantasmé, je me retrouve à avoir des crises d’angoisse. Je me sens trahie par mon corps et mes émotions. Au lieu d’être dans la jouissance et l’extase, je suis terrorisée par moi-même et tout ce qui devient possible, je me noie dans mes émotions et j’ai hyper honte, donc j’en parle le moins possible.
La princesse rencontre les dragons, ça fout les jetons, et elle se dit que toute seule, elle va pas y arriver, mieux vaut attendre qu’on vienne la chercher.
Au milieu de ce chaos débarque mon premier mec, il est beaucoup plus âgé, il est super stable et croyant, sa famille ressemble à celle des livres de caté. Je viens justement de me trouver une passion pour la religion et son amour inconditionnel rassurant (même le prix à payer en culpabilité était du pain béni pour moi : tu souffres et on t’aime pour ça BAM ! j’achète direct, mettez moi deux kilos de chapelets et un supplément confession s’il-vous-plaît).
Cette première histoire s’achève des années plus tard dans la culpabilité, et mes relations s’enchaînent sans que j’y trouve ce que je veux. J’ai beau savoir que je suis indépendante et cool, c’est vachement plus facile de me sentir indépendante et cool quand j’ai un mec et l’illusion de pouvoir compter sur quelqu’un d’autre.
La princesse commande des meubles ikea et se fait un nid douillet dans sa tour.
**Poker Face**
Ma vie professionnelle se construit aussi comme ça : je cherche le job qui va me sauver de mon énorme prêt étudiant et donner un sens à ma vie. Je me fais recruter par un patron qui croit en moi et qui me voit comme quelqu’un de talentueuse. Je fais un job auquel je ne comprends pas grand chose, mais apparemment suffisamment bien pour qu’on me garde, et ça me va, c’est toujours mieux que de me demander ce que je veux vraiment faire et revivre le vertige cauchemardesque de mon adolescence.
Je deviens une professionnelle de l’adaptation. Je vais de job en job quasiment toujours sur ce même modèle : soit je fuis une situation qui me déplaît, soit je vais bosser pour une personne qui voit quelque chose en moi.
Mais comme dans les relations, il y a toujours quelque chose qui manque. Je me sens coupable d’être aussi insatisfaite, mais je n’y arrive pas.
La princesse a beau repeindre les murs, changer les meubles et attendre les princes, ça sent de plus en plus le renfermé là dedans.
Enfin, il y a 4 ans, la princesse remarque que la porte n’est pas fermée, elle se demande si ce serait pas le moment de se bouger : un pied dehors, un pied dedans, je monte ma boîte.
Clin d’œil de sorcière, mon entreprise s’appelle Les Aventurières, pour que ma vie soit une aventure, même quand ça fout les jetons.
**Born this way**
Début 2019 après une année de coaching sur mon feu sacré et mon affirmation de moi, je décide de venir m’installer, seule, à Nantes. Je prends la décision alors que je n’ai rien à fuir, et personne qui m’ait choisie.
Je me prends de plein fouet les émotions d’un vrai choix, peut être un des premiers de ma vie.
– La légèreté, l’évidence, d’abord.
– La culpabilité, énorme. Se transformer, c’est être déloyale à ce qui était là avant, à ces années passées à décorer une tour de laquelle je n’osais pas sortir.
– La rupture, parce que tout le monde n’apprécie pas.
– La solitude, intense mais tellement précieuse, parce que tu arrêtes de chercher à tout prix à ce que tout le monde comprenne et valide tes choix.
– La libération, l’excitation d’écouter mes désirs.
Un vrai choix, avec ses responsabilités, ça a tous ces goûts là, pour moi.
En bas de la tour, un cadeau m’attendait depuis des années : j’ai compris que personne n’allait venir me sauver. Ce n’est le job de personne de prendre soin de moi. De m’aimer quand je m’aime pas. De me dire que ça va bien se passer quand je flippe. Ce n’est pas le job de mon travail ou de mon équipe de donner un sens à ma vie.
Tout ce que j’ai espéré trouver dans les yeux de quelqu’un d’autre ou les heures au bureau, ça a toujours été là. Ça brûlait déjà en moi, il suffisait que je choisisse de rebrancher mon feu sacré plutôt que de repeindre les murs de ma tour en attendant qu’un débilos avec un grappin vienne me chercher.
Personne ne va grimper cette tour, princesse, mais en fait, la porte n’a jamais été fermée. Et si tu regardes bien dans ce miroir, ton beau miroir, tu vas y voir non pas le visage pâle et mortuaire d’une meuf qui attend un baiser depuis 100 ans (sérieusement…), mais ton visage de sorcière, avec ses cicatrices, ses marques, sa profondeur et sa puissance.
J’adore te lire (jlai déjà dit mais je le redis !)
Ca rassure de savoir qu’on est pas seule à avoir eu une maman un peu spé…
Je ressens beaucoup d’émotions en lisant ces lignes.
Merci congruente sorcière !!!!! 🙂
Ah mais punaise, plus je te lis, plus je kiffe ton style et son énergie ! Une vraie patate ! Merci Laure !
Merci Caroline !