Beaucoup de gens adorent se toucher la crinière en murmurant que le temps, c’est vraiment la chose la plus précieuse qu’on ait dans ce monde, et que c’est important de chérir chaque minute. Avec un peu de chance, ils ont affiché « Seize the day » « Carpe Diem » sur leur corps, ou sur une couverture de cahier, ou en poster géant dans leur maison digne d’une photo Pinterest.
Le temps, dit-on, c’est la seule chose (avec les abdos de sa jeunesse) qu’on ne récupère pas, contrairement à l’argent. Et donc, c’est important de le dépenser « en conscience ».
C’est bien chouette et romantique tout ça, mais c’est aussi une vaste connerie (à part la partie sur les abdos, ça c’est complètement vrai et ça n’a rien à voir avec mon amour pour la pizza, merci).
A trop se la racler avec la préciosité du temps qui s’écoule inexorablement vers la mort, on a vite fait de se mettre en quête de la façon parfaite d’utiliser son temps, justement. Et c’est là que la machine s’enraye.
I -Tu surestimes la valeur de ton temps
Qu’est-ce qui est parfait ? Lancer mon business, ce qui va me demander de passer beaucoup de temps à expérimenter, échouer, rediriger, apprendre, re-échouer, m’éclater, sangloter, et toutes les nuances entre les deux ? Ou bien rester pépouf dans mon job et profiter de mes proches le weekend, les soirs à partir du jeudi et 5 semaines par an (tirez moi une balle direct) ?
Et le soir, est-ce que j’écris ce roman qui trotte dans ma tête depuis des années, sachant que je vais probablement produire des kilomètres de lignes pourries avant même de produire quelque chose de décent ? Ou bien est-ce que c’est peine perdue et je ferais mieux d’utiliser ce temps pour prendre soin de ma santé, et ainsi vivre plus longtemps.
Les humains d’aujourd’hui sont à la fois obsédés par la longévité, l’envie que leur vie dure un petit peu plus longtemps, ah non attendez encore un peu j’avais pas tout bien fini, et la fuite de ce qui les fait vraiment kiffer. En gros, on veut une vie plus longue, pas une vie plus mieux. Un peu plus de survie au bout de la route, surtout pas plus d’intensité pendant le voyage.
Le rêve quoi.
Alors on essaie d’économiser notre temps comme si la prudence payait des dividendes. Bravo, vous avez gagné un supplément-vie de 7 jours chiants en ne prenant aucun risque. Continuez comme ça ! Ne bougez pas tant que vous n’avez pas la preuve absolue que votre temps sera bien utilisé. N’écrivez pas ce roman, ne réalisez pas ce film, ne commencez pas ce podcast, ne montez pas cette entreprise. On ne sait jamais, ça pourrait être une fausse piste, mieux vaut commander à manger et re-mater une saison de Friends.
Comme dit Gary Vaynerchuk : « Le temps passé à essayer n’est pas du temps perdu » (c’est sûr que c’est moins court pour les tatouages ou les posters).
En fait le temps passé à expérimenter, à découvrir, à aller à la rencontre de qui tu es, à choisir vraiment – sans faire l’économie des détours et des plantages – c’est le temps nécessaire à ta création. C’est la partie du voyage qui est indispensable.
Même si tu rencontrais un gourou ultime, équipé du pouvoir de te dire qui tu es, ça ne fonctionnerait pas. Ce serait d’une violence folle que quelqu’un te dise quoi faire « allez, arrête de t’amuser, toi tu es faite pour être ébéniste, point barre. Bonne journée hein ! ». D’abord c’est hyper réducteur et chiant comme idée. Ensuite la création de ton oeuvre est beaucoup plus riche et bigarrée que ça. Et tu ne peux la découvrir qu’en la créant. Ça vaut pour tout le monde, même si tu ne te considères pas « artiste ». C’est un chemin se parcourt seul.e. Personne ne peut décider de vivre ta vie en partant de ce qui est unique et incroyable chez toi… à part toi.
II – Tu sous-estimes la valeur de ton temps
Oui oui je sais, je viens de dire le contraire. Mais tu sous-estimes aussi la valeur de ton temps quand tu te dis que « ça va, c’est pas si mal », alors qu’au fond ça gronde, ça tonne, et ça souffre.
Tu sous-estimes la valeur de ta vie et de ta beauté quand tu te contentes. Quand tu empiles les cadavres des placards aux tapisseries pour éviter de regarder ton matériau : toi. Ton univers intérieur devient étouffant à force de ne pas être aéré et visité. Et au bout d’un moment, tu te fais croire que tu n’as « rien de spécial », que tu aimes « les choses simples et sans chichis », que tout ça n’est « pas pour toi ».
Je ne dis pas que tu ne peux pas aimer les choses simples (ou les tatouages Carpe Diem <3 Morgane), mais quand tu te vends une idée de « vie simple » ou « vie normale » parce que tu as grave la trouille de te rencontrer en personne, là tu sous-estimes la valeur de ton temps.
Perso, une vie plus longue à tourner en boucle sur les mêmes sujets, à fuir au moindre signe de tes talents et de ta jouissance, ce n’est pas ça que je veux. Mon temps est trop précieux pour une vie endormie. Il est tellement précieux que j’ai hâte de le « gâcher » en écrivant des trucs nuls, en suivant des désirs qui s’avèreront être sans lendemain, en tentant des choses qui me font flipper mais qui me tirent la manche depuis longtemps, ou bien depuis hier.
Mon temps est (par)fait pour m’expérimenter sur les routes aventureuses et chaotiques de ma vie. Et c’est un apprentissage que je refais régulièrement, quand je m’égare sur les routes des « bonnes décisions » et de la « normalité ».
À toi, est-ce que tu as déjà voulu « économiser » le temps ? Est-ce que tu t’es déjà perdu dans les noeuds de ton cerveau sur la “bonne” façon de vivre ta vie ?
Bonjour,
Quel plaisir et bouleversement aussi de te lire ! Je me suis totalement reconnu dans le profil que tu as décrit. J’entreprends depuis peu et j’étais vraiment obsédée par le fait d’optimiser mon temps à coup sûr. Je me rends compte vraiment grâce à ton post que c’est une belle erreur. Merci pour cette belle prise de conscience. Tu m’as fait gagner de belles années ?
Avec grand plaisir !